Crédit photo : Hughes Delescluse, Tekoaphotos

Journaliste pigiste spécialisée dans la santé, Anne-Gaëlle Moulun a cofondé l’an dernier un collectif de journalistes indépendants basé à Lyon, « Sources », qui prône l’entraide et la solidarité entre pigistes. Portrait.

« Au départ, je voulais être médecin. » Comme beaucoup de journalistes pigistes, Anne-Gaëlle Moulun, 38 ans, n’a pas un parcours banal. Le bac en poche, elle tente le concours de médecine, avant de partir sur des études de biologie et de décrocher un master de biologie cellulaire à Nancy. « Les sciences m’intéressaient, mais je ne me voyais pas travailler dans un domaine spécifique », raconte Anne-Gaëlle.

À l’université, elle découvre la radio. Elle réalise des reportages pour une radio étudiante hébergée dans les locaux de France Bleu. Elle devient aussi correspondante de presse pour le journal régional, L’Est Républicain. Un premier pas dans le monde des médias, qui va la mener à la prestigieuse École de journalisme de Lille (ESJ), section « journalisme scientifique ».

« Il faut que ma grand-mère comprenne »

Diplômée en 2009, elle travaille quelques mois pour L’Est Républicain, et écrit sur des sujets scientifiques. « Mon rédacteur chef m’avait dit “il faut que ma grand-mère comprenne” », en sourit-elle aujourd’hui. L’année suivante, elle est engagée par le magazine Impact pharmacien, puis débauchée par le concurrent, Le Quotidien du pharmacien. Elle restera quatre ans à Paris.

Anne-Gaëlle débarque à Lyon en 2014, pour raisons personnelles. S’ouvre à elle une nouvelle vie, celle de pigiste. L’indépendance, la liberté, écrire sur les sujets qu’on aime pour les titres qu’on aime, avec toute la précarité qui va avec, aussi. Toujours spécialisée dans la santé, elle collabore alors principalement pour Le Quotidien du Pharmacien, Le Quotidien du Médecin, L’Infirmière magazine ou encore le journal économique La Tribune pour des articles sur les biotechs en Auvergne-Rhône-Alpes.

En parallèle, elle s’engage dans l’association nationale Profession pigiste, où elle deviendra co-présidente. « Ça m’a permis de rencontrer plein de journalistes, d’organiser des événements comme les 48 heures de la pige. On a essayé de mettre en place pas mal d’outils pour qu’il y ait une meilleure communication entre pigistes », explique Anne-Gaëlle.

La journaliste rentre aussi à l’Atelier des médias, où elle travaille depuis 2015. « Je suis passée d’un travail en rédaction à travailler seule chez moi, c’était difficile de se faire à ce changement. À l’Atelier des médias, on se fait du réseau en discutant, ou ça nous donne des idées de sujets », explique-t-elle. Avec la coworkeuse Donatelle Liens à l’illustration, elle réalise ainsi une enquête fouillée en 2017, pour le site d’investigation Mediacités, sur le Vinatier, « hôpital au bord de la crise de nerfs ».

« L’entraide et la solidarité entre pigistes »

Fin 2021, elle cofonde à Lyon un collectif de journalistes indépendants, « Sources », constitué de sept pigistes. « Ça faisait longtemps que j’avais envie d’en fonder un, mais je n’avais pas forcément trouvé les bonnes personnes. Pendant le confinement, une pigiste a lancé des visios avec des journalistes de la région. Avec le déconfinement, on s’est vus et on était dans le même esprit. »

Une fois par mois, ces journalistes venant d’horizons et de spécialités différentes, qui travaillent pour une palette de médias allant du Quotidien du pharmacien à Rue89Lyon en passant par Reporterre, se retrouvent pour une conférence de rédaction à l’Atelier des médias ou ailleurs. Ils présentent alors leurs sujets du moment, se conseillent, partagent des contacts. Jusqu’à collaborer ensemble, comme pour cet article d’Anne-Gaëlle sur les centres médico-psychologiques lyonnais, écrit avec le journaliste Moran Kerinec - qui a depuis rejoint l’Atelier des médias-, pour le site Medscape.

L’objectif de Sources est de monter des projets collectifs, de travailler sur des enquêtes difficiles à plusieurs, mais pas seulement. « Il y a beaucoup de soutien psychologique entre nous. Quand on a des petits coups durs, quand des rédactions nous laissent tomber par exemple », confie Anne-Gaëlle. « C’est hyper important. On se sent assez seuls quand on est pigistes. Depuis qu’on a créé le collectif, je sens que ça a une grande influence sur mon moral et sur ma motivation. »

En France et depuis quelques années, de plus en plus de collectifs de journalistes indépendants voient le jour, afin de lutter contre la précarité et de renforcer les liens entre pigistes. D’être plus solides face aux rédactions, aussi. « Dans le collectif Sources, on cherche l’entraide et la solidarité alors que parfois, les pigistes se voient comme des concurrents », regrette Anne-Gaëlle. « Mais ensemble, on est plus forts ! ».